« Nous devons veiller à ce que la justice sociale soit au cœur des politiques mondiales »

Par Rachel Westerby*

À l'occasion de la Journée mondiale de la justice sociale, célébrée dans le monde entier le 20 février 2025, nous nous sommes entretenus avec Ignacio Alonso Alasino (CICM-Commission Internationale Catholique pour les Migrations et le projet FOWLS) et Basma Louis (JOCI - Jeunesse Ouvrière Chrétienne Internationale) pour faire le point sur l'avenir du travail, la lutte pour la justice sociale et leurs projets pour la période à venir.

Le projet « L’avenir du travail – Le travail après Laudato Si' » (Projet FOWLS) met en place une communauté transformatrice mondiale d'organisations d'inspiration catholique et d'autres organisations confessionnelles engagées dans la défense d'un travail décent et juste et de la justice sociale. Photo : Participants à la conférence « Le soin est un travail, le travail est un soin : Vers la construction d'une communauté transformatrice mondiale et la contribution à l'agenda du développement mondial », organisé par le projet FOWLS coordonné par la CICM, avec le soutien du Dicastère du Vatican pour la promotion du développement humain intégral, à Rome du 8 au 10 mai 2024. © CICM

CICM : Merci beaucoup d'avoir accepté de vous asseoir avec nous aujourd'hui. Pourriez-vous d'abord vous présenter et nous parler de votre travail ?

Ignacio Alonso Alasino : Je m'appelle Ignacio Alonso Alasino et je suis chef de projet pour le projet « L'avenir du travail - Le travail après Laudato Si' » (FOWLS), une initiative portée par la CICM. Je suis également le point focal de la CICM pour les questions régionales relatives à l'Amérique latine et je milite en faveur d'un travail digne aux niveaux national, régional et international.

Le projet FOWLS est une initiative mondiale qui explore l'avenir du travail à travers le prisme de Laudato Si', soulignant le lien indissociable entre le travail, le soin et la protection de notre maison commune. Nous mobilisons les institutions du Vatican, les syndicats, les associations professionnelles, les acteurs interconfessionnels, le monde universitaire, les organisations de la base et les mouvements de jeunesse pour plaider en faveur de politiques qui reconnaissent le soin comme un travail et le travail comme un soin. Ensemble, nous veillons à ce que les droits des travailleurs et la justice sociale soient au cœur des discussions sur les transitions et les transformations socio-économiques et écologiques.

Basma Louis : Je m’appelle Basma Louis, présidente internationale de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne Internationale (JOCI). Nous sommes un mouvement dynamique de jeunes travailleurs et travailleuses, engagés dans le développement et la transformation de la vie des jeunes. 2025 marque le centenaire de notre mouvement, ce qui signifie que nous avons le même engagement depuis cent ans !

Aujourd'hui, nous sommes présents dans de nombreux pays d'Europe, d'Afrique, d'Asie, et d'Amérique du Nord et du Sud. Le mouvement se consacre à l'éducation des jeunes travailleurs et travailleuses, qu'il considère comme la voie principale vers l'émancipation des jeunes et comme une méthode permettant de jeter les bases d'une nouvelle société. Nous sommes jeunes et nous représentons les catégories de jeunes les plus vulnérables, notamment les travailleuses domestiques, les travailleurs migrants, les travailleurs d'usine, les travailleurs temporaires, les jeunes travailleuses et ceux qui occupent des emplois précaires ou informels.

CICM : Pouvez-vous nous parler un peu du projet FOWLS et de la façon dont vous avez travaillé ensemble dans le cadre de cette initiative ?

IAA : Au cours des cinq dernières années, le projet FOWLS a développé un réseau d'organisations partenaires, ainsi qu'une structure de gouvernance qui garantit que nos activités sont guidées par leurs connaissances et leur expertise.

Aujourd'hui, nous comptons un peu moins de 70 organisations partenaires dans le monde, issues d'organisations d'inspiration catholique, d'organisations ecclésiales, d'institutions liées à des congrégations religieuses et du monde universitaire, ainsi qu'un large éventail d'organisations et de fédérations de travailleurs et de jeunes. Je dois également mentionner que nous travaillons en étroite collaboration avec l'Organisation internationale du Travail (OIT) depuis le début, ce qui constitue un partenariat crucial et une source de soutien pour nous.

BL : La JOCI s'est activement investie dans le projet FOWLS depuis son lancement. Nous avons participé de diverses manières, notamment en co-organisant un séminaire international en 2018 à Bandung, en Indonésie, qui avait pour thème « Refaçonner l’avenir du travail à l’heure de la numérisation, des changements écologiques, de la précarité et du chômage : Action et engagement des jeunes travailleurs ». Nous avons également participé à des dialogues interreligieux, à de nombreuses discussions régionales et internationales sur les travailleurs migrants, la précarité et flexibilisation du travail et les chaînes de valeur mondiales, et nous avons travaillé sur le volet recherche du projet.

Participants au séminaire des jeunes travailleurs à Bandung, Indonésie, organisé par la Jeunesse Ouvrière Chrétienne Internationale (JOCI) du 14 au 23 août 2018. © FoWLS

Dans l'ensemble, je dirais que nous avons surtout contribué au projet FOWLS en faisant entendre la voix des jeunes travailleurs dans les espaces internationaux et régionaux dans lesquels il opère. Nous sommes profondément concernés par les questions soulevées par le projet, car elles affectent la jeunesse travailleuse partout dans le monde. Notre participation au projet FOWLS nous permet à la fois de représenter les jeunes et de tisser des liens avec d'autres mouvements qui s'attaquent également aux défis de l'avenir du travail. Nous ne pouvons changer les choses que si nous travaillons ensemble, et le projet FOWLS nous en donne l'occasion.

CICM : C'est aujourd'hui la Journée mondiale de la justice sociale, et c'est la première fois que cette célébration annuelle a lieu avec une Coalition mondiale pour la justice sociale pleinement opérationnelle. Pourriez-vous nous parler de la Coalition et de votre implication dans celle-ci ?

IAA : La Coalition mondiale pour la justice sociale est une initiative multipartite convoquée par l'OIT pour renforcer les efforts mondiaux visant à faire progresser la justice sociale, à garantir un travail décent et à favoriser des sociétés inclusives. Elle rassemble des gouvernements, des organisations de travailleurs et d'employeurs, des organisations de la société civile et confessionnelles, des agences des Nations unies et des institutions universitaires, afin de lutter collectivement contre les inégalités et de promouvoir des systèmes économiques équitables et durables.

La CICM est fière d'être membre de la Coalition, réaffirmant ainsi son engagement à défendre la justice sociale, en particulier dans les domaines des droits des migrants, du travail digne et du développement humain intégral. En outre, notre participation s'inscrit dans le cadre de notre mission plus large qui consiste à soutenir les communautés déplacées et à veiller à ce que les politiques du travail respectent la dignité humaine.

Dans le cadre du projet FOWLS, nous nous associons à des partenaires du réseau chaque année lors de la Conférence internationale du Travail (CIT) afin de nous assurer que nous faisons entendre les voix des organisations confessionnelles et syndicales dans les discussions mondiales.

À Rome, en mai 2024, nous nous sommes réunis pour une consultation intitulée « Le soin est un travail, le travail est un soin : Vers la construction d'une communauté transformatrice mondiale et la contribution à l'agenda mondial du développement ». L'événement était organisé par le projet coordonné par la CICM « L'avenir du travail, le travail après Laudato Si' », avec le soutien du Dicastère du Vatican pour la promotion du développement humain intégral. Il a rassemblé pendant trois jours un panel varié de participants issus des cinq continents.

Les participants ont été reçus par Sa Sainteté le Pape François lors d'une audience privée le jour de l'ouverture de l'événement, au cours de laquelle le Saint-Père a plaidé en faveur d'un travail décent et digne et d'un meilleur traitement des migrants.

Le Pape François s'adresse aux participants de l'événement consultatif « Le soin est un travail, le travail est un soin : Vers la construction d'une communauté transformatrice mondiale et la contribution à l'agenda du développement mondial », organisé par le projet FOWLS à Rome, du 8 au 10 mai 2024. © CICM

BL : Comme je l'ai dit précédemment, à la JOCI, nous comprenons l'importance de la collaboration, de la construction d'alliances et de la création de réseaux pour atteindre nos objectifs. C'est pourquoi nous avons accepté sans hésiter l'invitation de l'OIT à devenir partenaire de la Coalition.

Plus important encore, la justice sociale est au cœur de toutes nos actions et de tous nos efforts de plaidoyer. La conquête d'une vie digne et le droit à un travail décent sont intrinsèquement liés à l'objectif plus large de la justice sociale, et le rôle des jeunes est primordial. Nous représentons l'avenir et il est donc essentiel que les décideurs nous écoutent et associent les jeunes aux processus de prise de décision.

L'adhésion à la Coalition nous offre non seulement une plateforme pour exprimer nos points de vue, mais nous permet également de nous faire l'écho de la voix des jeunes travailleurs au niveau mondial. Il est très utile de pouvoir formuler nos demandes, en particulier à un moment où l'espace dont disposent les mouvements sociaux pour le faire s'est dilué au point d'être quasi inexistant.

CICM : La Coalition mondiale pour la justice sociale est une initiative relativement récente, entérinée par le Conseil d'administration de l'OIT à la fin de l'année 2023. Quelles sont ses principales activités à ce jour ?

IAA : Étant donné qu'elle est très récente, je dirais que la coalition a déjà pris des mesures significatives pour faire avancer sa mission.

L'une des étapes clés a été son forum inaugural en juin 2024, qui a jeté les bases d'une action collaborative. Depuis, la coalition a organisé sept webinaires sur des questions de justice sociale essentielles, telles que l'impact de l'IA sur le travail, l'économie des soins et le travail des enfants. Ces discussions ont réellement apporté des informations précieuses et favorisé la participation de différents secteurs.

Le secrétariat de la coalition a également identifié activement des possibilités de collaboration et les a partagées avec les partenaires, puis a recueilli des contributions spécifiques de la part des membres, y compris de la CICM, par le biais d'une enquête. Ce processus a permis une harmonisation plus efficace des priorités et une meilleure coordination de nos efforts.

Je dois bien sûr ajouter que la coalition joue un rôle clé dans la Journée mondiale de la justice sociale d'aujourd'hui, qui constitue un moment crucial pour réfléchir au besoin urgent de bâtir des sociétés plus justes et plus inclusives. À l'heure où les inégalités et la précarité du travail ne cessent de croître, nous disposons pour la première fois d'un cadre d'action et de collaboration. La Coalition nous aide à assumer notre responsabilité collective en veillant à ce que la justice sociale soit au cœur des politiques mondiales.

CICM : A ce jour, la Coalition a développé six sujets thématiques et 16 interventions planifiées. Dans quelle mesure correspondent-ils aux priorités du projet FOWLS et de la JOCI, et comment comptez-vous y contribuer ?

BL : Tous les quatre ans, nous élaborons le Plan d'action international de la JOCI, et nombre de nos domaines d'intervention sont étroitement liés aux thématiques et aux interventions de la Coalition.

Le thème de la réalisation des droits du travail pour garantir la dignité humaine et répondre aux besoins fondamentaux est au cœur de notre travail, et nous plaidons continuellement pour que les jeunes travailleurs et travailleuses aient une vie digne et l'accès à un travail décent. En fait, la plupart des thèmes de la Coalition sont profondément liés à nos objectifs en tant que mouvement, et nous mettons constamment en place des activités et des programmes axés sur ces questions.

En 2023, par exemple, notre travail international s'est concentré sur le travail et l'emploi informels, et nous avons accompli un important travail de recherche sur les réalités auxquelles sont confrontés les jeunes travailleurs dans ce contexte. Pour nous, il est très important de présenter nos conclusions à la plateforme fournie par la Coalition et de partager les témoignages des jeunes travailleurs concernés.

Bien que les priorités de la Coalition correspondent en grande partie aux nôtres, nous pensons également qu'il est essentiel de mettre l'accent sur la transition de l'économie informelle vers l'économie formelle, qui est cruciale pour parvenir à la justice sociale dans le monde du travail d'aujourd'hui. Pour lutter contre les taux élevés d'informalité, il faut prendre des mesures concrètes et réalisables pour faciliter cette transition et permettre aux jeunes d'accéder à un travail décent, à des protections sociales et à la possibilité de mener une vie digne.

IAA : En tant que membre de la Coalition, la CICM s'est engagée à souligner à quel point il est important d'intégrer la migration dans les principaux domaines thématiques prioritaires de la Coalition. Par « migration », nous entendons en particulier la migration de main-d'œuvre et les droits du travail des personnes en déplacement.

À long terme, nous souhaitons mettre l'accent sur les voies d'accès au marché du travail, sur les défis spécifiques auxquels sont confrontés les travailleurs migrants et sur la satisfaction de leurs besoins. Nous visons également à aligner les priorités de la coalition sur celles du processus du Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD), pour lequel la CICM coordonne la participation de la société civile mondiale.

Au sein du réseau FOWLS, nous voyons une opportunité de renforcer notre engagement en nous engageant dans des activités qui construisent la résilience, renforcent les institutions de dialogue social et promeuvent la réalisation des droits du travail en tant que droits humains.

CICM : Quels sont les avantages d'une collaboration au sein du projet FOWLS et de la Coalition mondiale ? Pourquoi travailler ensemble ?

BL : Notre collaboration avec des organisations et des réseaux d'inspiration catholique, y compris le projet FOWLS, renforce notre influence sur les décideurs et notre capacité à défendre plus efficacement les droits et les besoins des jeunes travailleurs et travailleuses. Il en va de même pour notre coopération avec les partenaires sociaux du monde entier et notre partenariat avec l'UNESCO. En ce qui concerne le projet FOWLS, le fait d'agir ensemble au sein de la Coalition mondiale pour la justice sociale nous permet d'être plus efficaces dans notre plaidoyer et d'avoir un plus grand impact.

Participants de la JOCI à la Conférence internationale du Travail à Genève en juin 2024. © JOCI

IAA : Si je peux me permettre, il me semble utile de vous donner un exemple au sein du réseau FOWLS pour illustrer la force et l'influence que nous tirons de notre coopération.

L'Association Kolping International (KIA) est un partenaire du projet FOWLS et un membre de la Coalition mondiale pour la justice sociale. Cette organisation sociale catholique compte environ 400 000 membres dans 60 pays. En tant que mouvement catholique, KIA se joint à nous pour promouvoir la solidarité, le bien-être économique et environnemental et le souci du bien commun.

Lorsque je pense à notre mission commune, je me remémore les paroles du Dr Hildegard Hagemann de KIA, qui décrit nos « préoccupations communes concernant le fossé grandissant entre, d'autre part, les pauvres et les marginalisés et, d'autre part, les super-riches au sein des nations et entre elles, entre ceux qui bénéficient des systèmes de sécurité sociale et ceux à qui ces avantages sont refusés par des gouvernements irresponsables et des systèmes injustes ».

Je suis également tout à fait d'accord avec son analyse de la façon dont « le monde a changé de façon spectaculaire pour évoluer vers une pensée de plus en plus centrée sur la nation et motivée par le profit qui, si elle n'est pas prise en compte, conduira à une réalité mondiale désastreuse ». Cela montre bien l'urgence de notre responsabilité collective et de notre action commune.

CICM : Pouvez-vous nous donner une idée de vos projets pour la période à venir ? Qu'est-ce qui se profile à l'horizon pour le projet FOWLS et la JOCI ?

BL : J'ai déjà mentionné que cette année est particulièrement importante pour la JOCI, puisque nous célébrons un événement marquant : notre centenaire. Il ne s'agit pas seulement d'une célébration, mais d'une opportunité stratégique de renforcer nos réseaux, d'amplifier notre impact et d'influencer les décideurs politiques. C'est également pour nous un moment clé pour réfléchir à notre héritage, présenter nos réalisations et réaffirmer notre engagement dans les luttes des jeunes travailleurs du monde entier.

Nous accueillerons plus de 100 délégués internationaux en Belgique, dont des jeunes leaders actuels et d'anciens membres de notre mouvement. Ils se joindront à nous pour rendre hommage à notre riche histoire et à notre avenir dynamique, et participeront à des ateliers et à des débats sur des questions essentielles telles que la migration, l'égalité des genres, la montée des idéologies de droite et l'avenir du travail.

IAA : Conformément à notre feuille de route 2024 pour un voyage commun, élaborée en consultation avec notre réseau, le projet FOWLS se concentrera en 2025 sur la formation, la recherche ainsi que les consultations et dialogues en utilisant la méthodologie du discernement social en commun (DSC).

Nos principaux domaines thématiques pour ce travail sont notamment le travail décent dans la production alimentaire et les chaînes d'approvisionnement, la protection et la prise en charge des migrants et de leurs familles, les industries extractives, la transition juste et la prise en charge de notre maison commune, la justice sociale et la dignité humaine, ainsi que l'impact de l'intelligence artificielle sur nos sociétés.

BL : J'ajouterai qu'un point central de nos activités du centenaire sera le lien avec notre campagne internationale sur la lutte contre le travail précaire, que nous considérons comme un obstacle majeur à l'obtention d'un travail décent et à une vie digne. Cette campagne vise à exposer les dures réalités auxquelles sont confrontés des millions de jeunes travailleurs piégés dans des emplois précaires et instables, et à plaider en faveur de protections plus fortes, de salaires équitables et de meilleures conditions de travail. La lutte contre le travail précaire n'est pas seulement une campagne pour nous, mais plutôt un élément fondamental de notre mission qui consiste à garantir que chaque jeune travailleur et travailleuse puisse vivre dans la dignité et croire en l'avenir.

Cette année, nous nous efforcerons également de promouvoir des débats plus approfondis sur la justice sociale et de créer des espaces de discussion constructive au sein de notre mouvement afin de réfléchir et de traiter ses différentes dimensions. Nous lancerons de nouvelles initiatives axées sur la promotion de la justice sociale, tout en poursuivant nos programmes d'éducation et de formation pour les jeunes.

IAA : Et nous nous reverrons bien sûr à la Conférence internationale du Travail en juin !

CICM : Ignacio et Basma, merci beaucoup d'avoir partagé vos réflexions sur la Journée mondiale de la justice sociale 2025.

*Rachel Westerby est une auteure et chercheuse indépendante sur la migration, les réfugiés et les droits humains.

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